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23 juin 2008

Libé

http://www.liberation.fr/
«Sur l’homophobie,
l’Education nationale est incontournable»
 
Il y aura, selon les organisateurs, 600 000 personnes dans les rues de Paris samedi lors de la Marche des fiertés (ancienne Gay Pride). Ce défilé est non seulement un événement festif mais aussi politique où tous les partis (sauf l’extrême droite) se font représenter. L’occasion aussi pour les associations de faire avancer des revendications d’égalité. Cette année, les organisateurs ont choisi comme slogan : «Pour une école sans aucune discrimination».
Alain Piriou, porte-parole de l’Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans (Inter-LGBT), qui organise la Marche des fiertés, explique les raisons de ce choix.

Pourquoi ce mot d’ordre ?

Nous savons que ce n’est pas cette année qu’une marche de 500 000 personnes fera changer d’avis Nicolas Sarkozy, qui a clairement dit qu’il était contre le mariage et l’adoption par des couples de même sexe. Plutôt que de perdre notre temps, autant le mettre à profit pour avancer.

Cette année, on a choisi le thème spécifique de l’école. Sur la question de l’homophobie, l’Education nationale est un acteur incontournable. Le sujet reste difficile. Rien n’est gagné d’avance. Mais il vaut mieux se battre là où il y a un espoir d’aboutir à court terme.

Pourquoi est-ce un sujet difficile ?

C’est très dur de parler de sexualité à l’école. Tout ce qui touche aux adolescents est potentiellement un sujet d’hystérie collective. Et c’est peut-être encore plus dur de parler d’homosexualité. On nous dit : «L’homosexualité à l’école, c’est une affaire privée.» Personne ne dit que l’hétérosexualité est une affaire privée, elle s’affiche partout. Les jeunes à l’école ne sont pas désincarnés, ils ont une vie sociale, sexuelle, affective, qui peut être hétérosexuelle comme homosexuelle.

Mais on entend encore des recteurs d’académie résister à la délivrance d’agrément à des associations qui viennent parler de l’homophobie dans les classes. Ils nous parlent d’«atteinte à la laïcité», ou de «prosélytisme». On ne va pas convertir les têtes blondes à l’homosexualité ! Il y a encore beaucoup de barrières à lever.

Votre slogan n’est-il pas gentillet, alors ?

Ce n’est pas un slogan bisounours. Nous croyions que la question de l’homophobie était évidente pour tous. Qu’il y avait un clivage droite-gauche sur le mariage des couples de même sexe ou l’homoparentalité, mais pas sur la lutte contre l’homophobie. En fait, tout le monde a besoin de beaucoup d’explications. Y compris les plus basiques. Nadine Morano [secrétaire d’Etat à la Famille, ndlr], qui a un bon discours sur l’homoparentalité, parlait récemment de l’homosexualité comme «un choix de vie», alors que c’est loin d’être un choix.

Il faut souvent tout reprendre à la racine. Malgré les progrès, il y a des poches de résistance. L’homophobie est souvent décomplexée, pas forcément organisée, ni idéologique, mais elle est rémanente. Et elle s’exprime avec beaucoup de violence. On a remarqué que les auteurs des agresseurs homophobes sont souvent très jeunes : ils ont 20 ans, ou sont même mineurs. Cela veut dire qu’il faut redoubler d’efforts et de prévention.

De même, il faut vraiment travailler sur le mal-être des jeunes homos qui ont encore davantage de risques de se suicider que les autres. Dans la construction identitaire d’un jeune garçon aujourd’hui, il faut être viril, dominateur, et tout ce qui échappe à ce modèle est critiqué. Les filles qui veulent échapper à la domination masculine et les garçons désignés comme efféminés sont des cibles de choix. Il y a beaucoup de travail à faire pour contrer le machisme.

Ce message ne passe pas à l’école ?

Il passe par les infirmières scolaires, par certains enseignants. Mais dans la formation initiale, cette préoccupation n’est pas prise au sérieux. Là, on laisse chaque enseignant trouver lui-même les outils pour le faire. Or, parler de l’intimité n’est pas une chose facile. Il faut former les enseignants face à ces comportements discriminatoires.

Comment ?

Il faut par exemple permettre aux associations et aux professionnels d’intervenir dans les classes. Les professeurs ne peuvent pas tout faire. La loi de 2001 impose pourtant des cours d’éducation à la sexualité durant toute la scolarité, avec des objectifs d’acceptation de la diversité, de lutte contre les stéréotypes masculins-féminins, mais elle n’est pas appliquée.

Dans ce contexte, qu’attendez-vous de la circulaire de rentrée qui prend en compte l’homophobie ?

C’est un grand pas en avant. L’Education nationale est très hiérarchisée. Les proviseurs et les recteurs la prennent très au sérieux. La circulaire prévoit que l’école doit combattre les comportements violents et discriminatoires, en particulier l’homophobie. C’est important que ce mot apparaisse, noir sur blanc.

On a déjà des retours d’enseignants qui nous disent : «On en parle enfin !» Ce n’était même pas imaginable il y a encore un an. Avant on était reçu poliment dans les ministères par un conseiller chargé du handicap ou alors chargé des associations, celui qui est chargé de faire patienter les gens dans la salle d’attente. Cette année, les rythmes de réunions se sont intensifiés. Nous espérons que les syndicats d’enseignants aident les professeurs à se saisir de la circulaire. Dans les lycées et les collèges, il reste beaucoup à faire.

Alain Piriou de l’Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans :
Recueilli par CHARLOTTE ROTMAN QUOTIDIEN :

 

20 avril 2008

Homoparentalité et homosexualité

Éric Fassin

L'INVERSION DE LA QUESTION HOMOSEXUELLE

EXTRAIT

Introduction
La démocratie sexuelle et l'intellectuel démocratique

 

 

Ce livre s’inscrit dans une histoire, en même temps qu’il entreprend de l’écrire. C’est le recueil d’une sélection de textes publiés depuis novembre 1997, au moment où s’engage en France un débat public sur homosexualité, mariage et famille. Sans doute, en principe, s’agit-il seulement à l’époque de ce qui deviendra bientôt le pacte civil de solidarité – le PaCS, comme on l’écrit dans un premier temps. Cependant, la discussion se porte aussitôt au-delà, puisqu’il est d’emblée question de l’ouverture du mariage et de la filiation aux couples de même sexe. Aussi le débat ne s’arrête-t-il pas avec le vote de la loi, en 1999. Sans doute le pacs entre-t-il très vite dans les mœurs, en même temps que dans la langue, en perdant ses majuscules pour devenir un nom commun en même temps qu’une réalité ordinaire. Et les adversaires les plus farouches du projet, à droite comme à gauche, se rallient rapidement à la réforme, lorsqu’il devient évident que l’opinion la soutient. Déjà, pendant le débat, nul ne se voulait homophobe; désormais, tous prétendent combattre l’homophobie. Nous voici bien au-delà du pacs.
Mais la lutte contre les actes ou les propos homophobes n’empêche pas de poser la question de l’homophobie d’État qui les cautionne implicitement – autrement dit, de l’inégalité instituée entre les sexualités, en particulier à travers le mariage et la famille. Ainsi, la mobilisation politique autour des noces de Bègles, en 2004, répond à la fois à l’actualité internationale des unions de même sexe, en écho au geste du maire de San Francisco, et à l’actualité nationale d’un fait divers, en réaction à l’agression subie par Sébastien Nouchet: le mariage célébré par Noël Mamère fait le lien entre la discrimination hétérosexiste et la violence homophobe. Les enjeux de l’homophobie d’État sont d’ailleurs révélés au grand jour, en 2005, à Rueil-Malmaison, lorsque la justice s’oppose au mariage de deux personnes de sexe opposé, l’une transsexuelle, l’autre transgenre, qui se déclarent toutes deux femmes. Si l’État écarte l’état civil, pour exiger, non plus seulement la différence de sexe, mais aussi la différence de genre, c’est bien qu’il ne s’agit pas seulement de la loi, mais des normes – de l’ordre des sexes en même temps que des sexualités. L’État n’intervient plus seulement comme garant de la loi, mais aussi de la Loi. Il s’agit bien de l’ordre symbolique, c’est-à-dire des normes qui régissent l’ordre sexuel.
Si le « mariage trans » révèle aujourd’hui une transphobie d’État, comme le « mariage homosexuel » manifestait hier une homophobie d’État, le parallèle apporte aussi un éclairage rétrospectif sur les combats qui ont accompagné le pacs dans notre pays. Aux États-Unis, quand émerge au début des années 1990 la revendication du « mariage gai », c’est en partie à l’initiative d’homosexuels conservateurs. Il s’agit donc bien sûr d’égalité des droits, mais aussi d’une volonté explicitement exprimée de « civiliser » les gays, autrement dit, de domestiquer leur sexualité en l’assujettissant aux règles matrimoniales – avec l’idée implicite qu’il n’est pas besoin d’imposer pareille régulation aux lesbiennes, supposées naturellement civilisées… En France, il est vrai qu’à l’instar des militants radicaux américains, certains redoutent que l’ouverture du mariage et de la famille ne participe d’une semblable entreprise de normalisation de l’homosexualité, désormais condamnée à singer l’hétérosexualité. Or si (la bataille autour de l’ordre symbolique le montrait déjà) ce sont les adversaires de cette revendication qui se sont faits les hérauts de l’ordre normatif, le prolongement transsexuel de la question homosexuelle dissipe aujourd’hui toute équivoque.
En effet, et l’État français ne s’y est pas trompé, après le mariage de Bègles, la demande de Rueil-Malmaison vient jeter le trouble dans la norme – qu’il s’agisse de genre, de sexualité, ou de mariage. Trouble dans le genre, d’abord, puisque Camille et Monica défont l’évidence naturelle du sexe. D’un côté, si Camille est bien aujourd’hui une femme par l’anatomie comme pour l’état civil, sa définition chromosomique masculine n’en est pas modifiée pour autant. D’un autre côté, si pour sa part Monica n’envisage pas l’opération qui la ferait changer de sexe, elle n’en refuse pas moins de se « travestir » en homme pour se conformer, le temps d’une cérémonie qui ne serait pour elle qu’une mascarade, aux injonctions de l’État. Les assignations de l’état civil se révèlent donc arbitraires, et non pas naturelles.
Trouble dans la sexualité, ensuite. En effet, si le mariage homosexuel semble à première vue se résumer au mariage des homosexuels, autrement dit, si l’adjectif se confond aisément avec le substantif, loin de cristalliser une alternative identitaire qui exclurait tout autre terme, le mariage transsexuel porte au jour le caractère problématique des orientations sexuelles. Si Camille et Monica sont nées de sexe masculin, et si toutes deux se définissent aujourd’hui comme des femmes, alors que la première a changé de sexe, et non pas la seconde, leurs amours doivent-elles être définies comme lesbiennes ou gaies, bisexuelles ou hétérosexuelles? Ou bien au contraire, ces distinctions somme toute rassurantes ne sont-elles pas aujourd’hui, grâce à elles qui ne s’y reconnaissent guère, quelque peu troublées? L’orientation sexuelle nous apparait un peu moins comme la vérité ultime de l’identité.
Trouble dans le mariage, enfin. Si se défait l’évidence d’une organisation du mariage fondée sur la différence des sexes et l’hétérosexualité, loin que l’ouverture du mariage, et au-delà, de la famille, à ceux qui en sont encore exclus dans notre pays, signifie que toutes et tous rentrent dans le rang de la normalité, on le voit bien ; le désordre que redoute le ministère public n’est autre qu’une interrogation sur la nécessité de l’ordre des choses. Il devient donc absurde de dénoncer le conformisme du mariage ou de la famille, à l’heure où le mariage et la famille sont les armes avec lesquelles se battent des hommes, des femmes, ou plus simplement – qu’importe? – des personnes, indépendamment de leur sexe ou de leur sexualité, pour résister aux assignations normatives de l’ordre symbolique relayées par l’État. Bref, loin qu’aujourd’hui les débats sur le mariage participent d’une dépolitisation des minorités sexuelles, ils ressortissent à une remise en cause, une problématisation, une interrogation.

***

La question minoritaire ne touche pourtant pas les seules minorités. C’est l’hypothèse qui traverse ce recueil, du premier au dernier texte, et les passions que suscitent ces débats dans la société tout entière, bien au-delà de l’importance statistique des populations directement concernées, viennent la confirmer. Ainsi, les questions posées à partir des marges interrogent l’ordre sexuel dans son ensemble. C’est qu’il en va des normes – non seulement de leur contenu, mais aussi de leur statut. En effet, il ne s’agit pas seulement de la définition du genre et de la sexualité, du mariage et de la famille; on touche ici à l’emprise des normes en général, à partir de l’exemple spécifique des normes sexuelles.
Le débat sur le pacs l’avait déjà montré, la bataille porte sur l’extension du domaine démocratique. Sans doute sommes-nous tous d’accord pour considérer que les choix économiques ou politiques relèvent de la négociation politique. Mais doit-on considérer que les questions sexuelles, qu’il s’agisse de genre ou de sexualité, de mariage ou de famille, de filiation ou de reproduction, échappent à la délibération démocratique? Peut-on soutenir l’idée que tout est politique, sauf l’ordre sexuel, qui transcenderait la politique? On comprend dès lors pourquoi les questions sexuelles sont aujourd’hui stratégiques: elles représentent l’ultime frontière d’une définition des normes qui demeurerait naturelle, et non politique, c’est-à-dire intemporelle, et non pas historique.
Autrement dit, l’enjeu des controverses actuelles, au-delà des objets spécifiques qui en sont la matière (le pacs ou le mariage, l’adoption ou l’assistance médicale à la procréation), c’est le statut des normes dans les sociétés démocratiques. Aujourd’hui, les normes sont-elles jamais définies d’une manière qui transcende l’histoire, sur un principe tel que Dieu ou la Tradition, la Nature ou la Culture, voire la Science – ou bien sont-elles toujours immanentes à l’histoire, définies par la délibération démocratique et la négociation politique? Les normes sont-elles jamais naturelles – ou bien est-ce toujours la société qui s’autodéfinit? Bref, dans des sociétés démocratiques, les normes peuvent-elles encore ne pas être appréhendées comme des normes sociales?
On comprend dès lors pourquoi ces questions agitent les fondamentalismes religieux de diverses obédiences. Leur inquiétude porte précisément sur la possibilité de préserver une autorité transcendante dans le cadre de sociétés démocratiques, soit un principe absolu en surplomb des normes. C’est bien pourquoi la droite protestante, les islamistes radicaux et les catholiques conservateurs peuvent se retrouver dans un même combat pour l’ordre sexuel, tandis qu’aujourd’hui s’engagent ensemble contre l’ouverture du mariage aux homosexuels les États-Unis, l’Iran et le Vatican. C’est pour la même raison que le Conseil pontifical pour la famille, dans son récent « Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques », consacre pas moins de trois articles à la notion de « genre ».
Pour ces théologiens avertis des débats les plus actuels, le genre ouvre la porte au mariage homosexuel, puisqu’il dénaturalise l’ordre des sexualités en même temps que des sexes. Aussi dénoncent-ils les féministes comme Judith Butler, dont l’usage du genre défait les évidences de l’ordre sexuel, pour promouvoir « une définition renouvelée du genre, acceptable pour l’église » : « Dimension transcendante de la sexualité humaine, compatible avec tous les niveaux de la personne humaine, englobant le corps, la pensée, l’esprit et l’âme. Le genre est donc perméable aux influences sur la personne humaine, aussi bien intérieures qu’extérieures, mais il doit se conformer à l’ordre naturel qui est déjà donné dans le corps. » La transcendance religieuse, c’est donc bien l’ordre naturel, que viennent ébranler, de la même manière, le féminisme du genre, et les revendications homosexuelles.
Toutefois, l’enjeu politique des questions sexuelles ne concerne pas seulement les institutions. Il porte aussi, pour emprunter un terme que Judith Butler reprend de Michel Foucault, sur l’assujettissement qui constitue le sujet en même temps qu’il le contraint, qui le fait exister en même temps qu’il lui impose sa loi. En effet, si l’autorité au principe des normes se trouve ébranlée par la politisation des questions sexuelles, et en particulier de la question homosexuelle, c’est l’emprise des normes sur chacun qui s’en trouve affectée. La fin de la transcendance, ce n’est certes pas la disparition des normes au profit d’un individualisme sans frein; mais c’est l’autorité absolue des normes qui cède la place à une autorité relative – moins assurée, plus indécise, bref, problématique. L’individu n’est pas affranchi de l’emprise des normes; mais leur empire est assorti d’un point d’interrogation, qui ouvre pour chacun une marge de liberté.

***

Cette interrogation participe de ce qu’on appellera l’inversion de la question homosexuelle. On se demandait hier encore: comment peut-on être homosexuel? Aujourd’hui, on se pose de plus en plus la question inverse: comment peut-on être homophobe? De manière générale, ce n’est plus tant la société qui interroge l’homosexualité, que l’homosexualité qui soumet la société à la question. Et ce qui est vrai pour la société ne l’est pas moins en ce qui concerne les savoirs – qu’il s’agisse des sciences sociales, comme la sociologie de la famille ou l’anthropologie de la parenté, ou de discours par définition engagés dans une pratique, comme le droit ou la psychanalyse. Les uns et les autres sont aujourd’hui soumis à la question homosexuelle, qui interroge leurs prémisses, prénotions ou préjugés. Qu’en est-il de l’Œdipe ou de l’échange matrimonial, du couple ou de la famille, à la lumière de l’ouverture du mariage et de la filiation aux couples de même sexe?
Mais il y a plus: de même que pour les normes, la question des savoirs ne porte pas seulement sur leur contenu, mais aussi sur leur statut. En effet, la démocratisation des normes nous engage à réfléchir à nouveaux frais sur la démocratisation des savoirs. Si la société, prise dans l’histoire, invite les discours qui la prennent pour objet à penser leur historicité, qu’en est-il, non seulement de l’autorité des normes, mais aussi de l’autorité scientifique et intellectuelle dans une société qui se définit comme démocratique? Là encore, de même que la remise en cause de l’emprise absolue des normes n’implique nullement leur effacement, de même, la critique de l’absolutisme dans la vie intellectuelle et scientifique ne signifie pas le renoncement à la vérité. L’historicité du savoir ne nous condamne pas davantage au relativisme que l’historicité des sociétés ne nous fait verser dans l’individualisme.
Il nous reste toutefois à penser le statut du savant et de l’intellectuel dans les sociétés démocratiques, et la nature d’une autorité non naturelle – autrement dit, à repenser la science sans la transcendance d’une majuscule. Comment dessiner une pratique démocratique de la vie intellectuelle, qui permette d’appréhender la démocratie dans les normes, et donc au premier chef la démocratie sexuelle? À l’occasion du dernier entretien publié de son vivant, dans Le Monde daté du 19 août 2004, Jacques Derrida marquait son soutien au mariage de Bègles qui, disait-il, « constitue un exemple de cette belle tradition que les Américains ont inaugurée au siècle dernier sous le nom de « civil disobedience » : non pas défi à la Loi, mais désobéissance à une disposition législative au nom d’une loi meilleure – à venir ou déjà inscrite dans l’esprit ou la lettre de la Constitution. »
Mais dans ce qu’on peut lire comme son testament intellectuel, le philosophe s’interrogeait, en même temps que sur la démocratie sexuelle, sur la démocratie intellectuelle. En effet, il revenait aussi sur cette génération qui disparaissait avec lui: tous ces penseurs, qu’il s’agisse de Foucault, Deleuze, Barthes, ou Derrida lui-même, partageaient une même valeur – un « ethos d’écriture et de pensée intransigeant, voire incorruptible », bref, une « exigence ». Or la montée en puissance de l’intellectuel médiatique aurait mis fin à cette exigence, et à cette époque. Ou plus précisément, pour reprendre l’expression si derridienne à laquelle recourt alors Jacques Derrida, cette « époque provisoirement révolue. » Il nous faut donc réfléchir, non pas sur le mode nostalgique en évoquant un passé achevé, mais bien plutôt en élaborant pour l’avenir, sinon pour le présent, des manières de conjuguer les exigences de la vie intellectuelle avec la logique démocratique qui expose le savoir aux interrogations de la société.
Qu’est-ce qu’une science démocratique, qui ne soit pas pour autant soumise à la demande sociale, et qu’est-ce qu’un intellectuel démocratique, qui ne soit pas pour autant subordonné à la demande médiatique? On sait qu’aujourd’hui c’est la vie intellectuelle et scientifique dans son ensemble qui est traversée par ces interrogations, même si peut-être l’actualité brulante des questions sexuelles permet moins encore de s’y soustraire que dans d’autres domaines. Mais, plutôt que de le déplorer, mieux vaut s’en réjouir, pour porter l’exigence au cœur même de la logique démocratique. « Résistance ne signifie pas qu’on doive éviter les médias », ajoute le philosophe. Peut-être faut-il commencer – et l’on voudrait que les textes recueillis dans ce volume en portent la trace, jusque dans leur orthographe « démocratisée » – par revendiquer cet échange avec la société, y compris avec les médias, non seulement bien sûr pour les interpeler, mais aussi pour faire une place à leur interpellation, sans toutefois s’y réduire ou s’y assujettir. Il ne s’agit donc pas pour le savant de se démettre, ni pour l’intellectuel de se soumettre, mais, dans l’espoir que l’époque de haute exigence qui nous a précédés ne soit que « provisoirement révolue », de travailler à définir une exigence démocratique non moindre, mais renouvelée.

 

Ce livre vient d'être réédité aux éditions Amsterdam

C'est un thème d'actualité on ne peut plus actif. Nadine Morano a récemment fait grincer des dents au Palais Bourbon, avec ses propos favorables à l'homoparentalité. La secrétaire d'État à la famille trouvera ce mois-ci un écho à sa réflexion dans cette publication de la maison Amsterdfam, qui réédite le livre du sociologue Éric Fassin.

Pour lui, les débats sur le Pacs, l’ouverture du mariage, l’homoparentalité et l’homophobie marquent une rupture historique: une inversion de la question homosexuelle. « Si depuis un siècle la psychanalyse, l’anthropologie et la sociologie interrogeaient l’homosexualité, c’est aujourd’hui la politique gaie et lesbienne qui met en question ces disciplines et, au-delà, nos sociétés. L’évidence des normes a cédé la place à une interrogation sur le processus normatif : trouble dans la norme, donc. »

Une nouvelle édition au format poche, donc, enrichie de quelques nouveaux articles qui éclairent la réflexion et la situation, en reprenant justement des éléments politiques depuis l'accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy.

24 septembre 2007

Jerry contre Predator

Rebondissement en Californie

Le maire républicain de San Diego a annoncé mercredi un changement total de position sur la question du mariage gay! Jerry Sanders a signé une résolution du conseil municipal de sa ville soutenant l'ouverture du mariage aux couples de même sexe dans l'Etat de Californie alors qu'il avait fait savoir jusqu'ici qu'il s'y opposerait.

Le maire de San Diego, un ancien policier membre du Parti républicain, a indiqué qu'il ne pourrait maintenir deux ans de plus la position qu'il avait défendue durant sa campagne électorale. A l'époque, il s'était dit favorable au partenariat civil mais opposé à l'accès aux mêmes droits que ceux du mariage pour les couples de même sexe. "Il y a deux ans, je croyais que les unions civiles étaient une alternative satisfaisante au mariage. J'ai changé d'avis. Le principe d'une institution 'séparée mais égale' est un principe que je ne peux plus soutenir", a-t-il déclaré. Retenant ses larmes, Jerry Sanders a dit qu'il souhaitait que sa fille Lisa et tous les homosexuels qu'il connaît puissent vivre leur vie sentimentale protégés par l'égalité dans l'Etat. "Au fond, je ne pourrai plus jamais regarder en face l'un d'entre eux et lui dire que sa vie sentimentale, sa vraie vie, vaut moins que le mariage que j'ai conclu avec ma propre femme", a-t-il ajouté.

La volte-face du maire de San Diego est d'autant plus courageuse qu'il envisage de se représenter à la mairie l'an prochain et qu'il va devoir affronter une partie importante de son électorat qui est férocement opposée au mariage homosexuel. Lisa Sanders aurait annoncé son homosexualité à ses parents il y a quatre ans, mais ne l'avait pas rendu publique. Le retournement de position de Jerry Sanders intervient dans un contexte très particulier puisque le gouverneur de l'Etat de Californie, Arnold Schwarzenegger, venait de faire savoir qu'il comptait opposer son veto à la légalisation du mariage gay.

Source: E-llico 

Question: euhhhh, quelqu'un sait si notre président a une fille (même cachée, ça s'est vu...) lesbienne ou un fils gay? 

 

English version

Republican San Diego Mayor Jerry Sanders abruptly changed his position on gay marriage Wednesday, announced that his daughter is a lesbian, and signed a City Council resolution adding San Diego to a friend-of-the-court brief that urges the California Supreme Court to legalize same-sex marriage. Yeahhhhh! More details right here!

I had a dream last night: our French president had a lesbian daughter AND a gay son!

14 septembre 2007

Crémation

Trois jours après les obsèques. C'est au fin fond de la campagne, loin de Paris. On a pris un taxi, tôt le matin. C'est une journée radieuse comme il y en a si rarement: le ciel est d'un pur, l'air est si doux et frais à la fois, c'est délicieux. Le taxi a un toit ouvrant, ce qui donne l'impression que le ciel est partout et que les hauts murs des immeubles de banlieue n'existent plus.
 
Puis l'autoroute, les champs, les bois. Nous partons vers une destination magnifique. Je ne connais pas cet endroit, mais les noms lus sur les panneaux me disent quelque chose: nous sommes dans une région de chasse. Le taxidriver donne quelques précisions sur l'itinéraire: il me semble alors me souvenir qu'une rivière assez importante borde la commune où nous nous rendons, ce qui se vérifiera par la suite. La vie est ainsi faite que nous partons pour un haut-lieu de chasse et de pêche, qui plus est, situé dans le département qui est le berceau de ma famille maternelle: clins d'oeil! Et oui, on meurt tant à Paris de nos jours que les délais de crémation sont inimaginables, à moins de faire comme nous, partir en province.
 
L'homme de circonstance qui nous accueille est de sombre vêtu, il s'excuse il n'a pas sa veste, il court la chercher. Nous devons être les premières ce jour-là. Entrée, petit salon, fleurs artificielles, tout est sans vie là-dedans. Voulez-vous boire quelque chose, mesdames? Oui, enfin non pas tout de suite, on voudrait... il comprend à demi-mot et nous mène dans la pièce où est disposé le cercueil. Nous avons une heure d'avance et j'ai mal pour ma mère qui commence à fléchir je le sens. Paradoxalement, cette pièce-là est vivante: au dehors, un ouvrier repeint de neuf les barreaux et les croisillons d'une des fenêtres de la salle. Clope au bec, imperturbable, il s'applique, il est minutieux, ses gestes me rappellent ceux de mon père, cigarette comprise. Je comprends que mon père restera vivant en moi pour toujours.
 
Ma mère a regardé les cartes sur les fleurs en pots qui accompagnent le cercueil. Non, aucune de la famille. Elle serre le cercueil dans ses bras et commence à craquer, à dire je ne sais quoi sur le paradis, j'attire doucement son attention sur l'homme au travail et ça y est, je vois que ça la frappe: cette application méthodique et soignée, elle ne peut que voir elle aussi! Je lui dis que c'est comme un clin d'oeil de papa: il y a des fenêtres sur la vie, il sera bon qu'elle n'oublie pas de porter son regard au dehors aussi, le monde extérieur existe encore et il y fait beau... Elle s'apaise et se souvient de ses gestes à lui: je sens que ça lui fait du bien.
 
L'employé tout bien sanglé dans son costume sombre nous repropose une boisson, oui un thé ça sera très bien. Une autre salle, un petit bar, quatre tables, des chaises, nous nous installons. Sur le bar, des gravures accrochées, scènes de sport, pêche ou chasse. Non mesdames il n'y a ni la couture ni le tricot, on en déduira ce qu'on veut. Deuxième belle-soeur arrive, très triste elle aussi. Elle confirme, nous ne serons effectivement que quatre, les autres n'ont pas le temps - faut-il comprendre pas les couilles ou pas l'envie? - d'être là...
 
Le préposé est maintenant accompagnée d'une préposée en tailleur très strict, très sombre. Nous retournons dans la salle au cercueil, on nous explique que la cérémonie va pouvoir commencer: nous allons dépiquer nos fleurs de leur tapis de mousse et les disposer directement sur le bois, les mousses et supports métalliques ne brûlant pas, ils seront retirés. Non seulement cela va être très beau, mais cela donne un rôle actif aux participants, c'est moins dur pour ma mère. Arrive pourtant le moment où il faut bien qu'ils emportent le cercueil...
 
La salle est vide maintenant, l'écran vidéo s'allume. Le cercueil est mis en place sur un plan devant un mur où se  découpe une plaque très épaisse verticale: c'est la porte du crématorium. Un autre employé, très raide, se recueille un moment près du cercueil. puis il fait trois pas sur la droite et actionne un bouton sur le mur. La plaque commence à monter, puis se lève  complètement. Un bras mécanique pousse le cercueil lentement dans l'enceinte du crématorium, la plaque redescend lentement, silencieusement, comme le marbre du tombeau se referme sur la tombe.
 
Nous sortons. Il fait un temps radieux. Ma mère et ma belle-soeur parlent un long moment dehors, de papa, puis de mon frère qui a eu de graves ennuis de santé ces derniers temps lui aussi. Il fait toujours aussi beau, le soleil a monté dans le ciel, et cet air si pur... je me revois près de quarante ans en arrière, sur le port de M*** où nous passions nos vacances. C'est la même qualité d'air, quand le beau temps revient au beau fixe après un coup de vent d'est, une température chaude juste ce qu'il faut, une petite brise qui caresse le visage. Je nous revois sur ce port, mon père en maillot de bain, affairé à préparer le bateau pour la journée, joyeux, bronzé, dans la pleine force de l'âge. Cela fait partie des moments les plus heureux de sa vie. Je sens le soleil et je suis sur le port de M***.
 
Soudain, j'entends même les drisses qui tapent sur les mâts des voiliers voisins! Je me retourne: c'est notre peintre qui a fait le tour du bâtiment et qui s'attaque à une nouvelle fenêtre, il tapote les barreaux avec son pinceau pour faire tomber des débris de rouille et de vieille peinture! Synchronicité... Je regarde à nouveau vers les arbres qui entourent la bâtisse et goûte la magie de ce moment où passé et présent coexistent. Je suis à la fois ici à P*** où le corps est en train de devenir cendres et à M*** sur le bateau, prête à passer une journée délicieuse en mer. Merci la vie.  

06 septembre 2007

Homophobie ordinaire

Faire-part

Mme son épouse

Mme Happy sa fille

M. et Mme son fils aîné

Le Docteur (ah les titres ça c'est important!)
son second fils et son épouse

M. son troisième fils et son épouse
(toute neuve, quatrième du titre,
mon frère aurait dû avoir un harem, c'est plus simple...)

Ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de vous annoncer le décès de ...

les obsèques auront lieu à ....

 

Ma mère me l'avait lu si vite au téléphone, ce faire-part, que je n'avais pas tout compris: je croyais qu'il y avait juste "Son épouse, ses enfants et ses petits-enfants, ont la tristesse etc...". C'est la première chose que j'ai vue en arrivant là-bas, posé sur la table du salon, avec ce vide après mon prénom et mon nom, un vide atrocement grand. Une grande absente.

J'ai encaissé, j'ai montré le papier à Mary L qui n'avait pas encore compris de quoi il retournait et qui a fait la gueule un bon moment ce jour-là - on la comprend!

Puis dans l'après-midi j'ai pris ma mère à part pendant des démarches que nous avions à accomplir et je lui ai dit ma contrariété. A la question, pourquoi ne pas avoir mis "Mme Happy et sa compagne" la réponse tomba comme un couperet "Ah ben c'est pas exprès, je n'y ai pas pensé". Remarque qui fut suivie quelque trente minutes plus tard en notre présence à toutes les deux d'une réflexion sur "ces gens susceptibles qui prennent tout mal là où il n'y a pas de quoi, vraiment je ne comprends pas les gens". Merci pour les gens.

Il a fallu aussi s'appuyer les présentations répétées à l'église ou ailleurs: "Ma fille... une amie". Il a fallu batailler pour que je dise mon texte à moi à l'église et pas un truc tout prêt fait par quelqu'un qui l'a jamais vu, mon père, et qui serait bien en peine de le définir et de l'apprécier. D'ailleurs ses fils, zont pas mis une fleur, zont pas dit un mot.

N'empêche que la quatrième femme de mon frère, elle ne le connaissait pas du tout mon père! Ce n'est pas elle qui lui a massé les pieds le 15 août quand on est monté le voir en vie pour la dernière fois. Ce n'est pas elle qui a deux enfants que mon père commençait à aimer tellement fort, que même si ceux-là n'étaient pas de son sang, il s'annonçait toujours sous le nom de Papy pour eux au téléphone. Son dernier cadeau, c'est une voiture pour eux deux, qu'il n'a pas eu le temps d'envoyer par la poste  et que j'ai rapportée dans mes bagages. Il y a une lettre avec, sa dernière lettre... Elle est pour eux. Nous l'ouvrirons ce week-end tous ensemble, puisque nous n'avons pas été rassemblés plus tôt.

La femme qui a massé les pieds de mon père, la femme qui a mis au monde ces deux enfants, la femme qui a mis les disques que mon père aimait pendant la cérémonie, la femme que j'aime et qui m'aime, c'est ma belle. Cette femme-là, si la loi n'était pas tellement à la con! serait mon épouse au même titre que les autres. En attendant c'est ma compagne depuis bientôt sept ans et je défie quiconque d'affirmer que notre amour ne vaut rien! 

Oh Maman, ma vie tu la connais depuis si longtemps, et Mary L aussi tu la connais et tu vois comme on est bien ensemble. Pourquoi as-tu fait ça? Ma douce a du chagrin aussi, tu sais, elle aimait Papa et vous a toujours bien reçus chez nous. Tu m'as fait très mal, très mal et tu ne le vois même pas! Et si tu t'en foutais enfin du qu'en dira-t-on?

... 

Faut pas que j'oublie que Papa m'a laissé un très beau cadeau à moi aussi, celui d'accepter ma vie telle qu'elle est!

Relativité du temps

Du 23 au 28 août, objectivement, cinq jours.

Pour moi, je ne sais combien de semaines voire de mois pour les digérer.

Préparatifs, obsèques, premiers rangements, premiers tris, démarches, administrations, famille, retrouvailles, surprises bonnes, mauvaises, émotions, souvenirs, cassures, éparpillement du passé, loi du silence, homophobie ordinaire, et j'en passe.

Il me faudra du temps pour mettre en mots la souffrance, les joies, les traumatismes refoulés, les brisures, les séparations, les oublis, la négation par les uns, la reconnaissance par les autres.

L'ignorance et le déni font toujours autant de dégâts, n'en doutez pas. Quant à certains, c'est l'intérêt qui guide leur coeur. Pas l'affection. Heureusement qu'il y a les autres... enfin j'espère...

21 août 2007

Il est parti

Il a choisi. Il est parti.

Je suis très triste et très soulagée à la fois. Il a fait le meilleur choix: il ne souffre plus.

C'est le début d'une grande solitude pour ma mère... 

16 août 2007

Tout déglingué

Nous l'avons trouvé tout dépenaillé, les gobelets et le réveil jetés par terre, le pyjama arraché, la couverture et les draps valdingués. Les infirmiers ont confirmé qu'il n'avait pas cessé de tout dévirer depuis la nuit précédente.

Et pourtant ... les yeux tout ronds tout brillants comme un gosse, un sourire large en dépit de sa grande faiblesse et cette phrase d'entrée: "Je suis tout déglingué!". Lucide, ravi de me voir, de nous voir, et de la bonne surprise qu'on lui fait là.

Près de trois heures passées auprès de lui à 95 % cohérent, trois heures merveilleuses. Nous nous sommes dit si peu de choses car il n'arrive presque plus à parler, mais si essentielles! C'est le meilleur qui a été dit, de part et d'autre. Il était si content, si touchant, si touché!

Je sais qu'aujourd'hui déjà il ne se rappelait plus m'avoir vue la veille et qu'il s'éteint en accéléré. Je sais qu'on le maintient en vie de force, mais enfin, s'il ne veut ni ne peut plus manger, à quoi bon? Il respire mal, s'étouffe de plus en plus, décline, ne se lèvera plus, ne fait rien à part encore un peu regarder la télévision ou écouter la radio d'une oreille distraite, subir quelques soins le matin et attendre parfois les visites de ma mère quand le temps signifie encore quelque chose et qu'il n'est pas tout déboussolé. Je ne comprends pas pourquoi s'acharner comme cela pour le maintenir dans cet état! Et ce soir l'on me dit qu'aujourd'hui encore il y a eu un acte chirurgical sous AG: changement du PAC (port à cath) pour le nourrir artificiellement! Mais quoi? Il arrache toutes ses perfs, ce PAC c'est lui qui l'a mis hors d'état ce lundi! Pourquoi lui imposez-vous encore cette souffrance? Vous ne comprenez donc pas?

S'il vous plaît, laissez-le partir! Pleaaase, let him goooo. Foutez-lui la paix! Laissez-le partir en paix! Ce n'est plus une vie, ce n'est pas une vie, ce n'est pas la vie qu'il aime! Qui voudrait être traité comme cela? S'il vous plaît!

11 août 2007

Ouééééééé 2 !

Dimanche soir. 22h passées. Le téléphone sonne. "Allo c'est moi (= my mother), je t'appelle pour te dire que ton père va être hospitalisé dans les minutes qui viennent, il est tombé ce matin par terre sans pouvoir se relever, j'ai dû appeler les pompiers. Et maintenant, il tousse sans arrêt, il part en urgence à  l'hôpital P".

Cela faisait cinq jours qu'il était de retour chez lui...

Il faudra deux jours pour lui trouver un lit dans cet établissement de pointe, probablement l'un des meilleurs d'Europe pour le traitement du cancer. C'est dire combien cette maladie frappe de monde... Il faudra trois autres jours pour que soit choisi l'établissement qui va se charger des soins à faire en attendant l'entrée en unité de soins palliatifs, un peu plus tard dans l'été. Ca y est donc, il ne rentrera plus jamais chez lui.

Pour celles et ceux qui ne sont pas ou plus bien au courant, les derniers mois ont été plutôt mouvementés. Je résume: mon père souffre depuis quelques années d'un cancer de la prostate qui s'est progressivement généralisé, aux os d'abord, puis aux vaisseaux sanguins, puis au foie et aux poumons. Il n'a pas d'atteinte cérébrale, ce qui ne l'empêche pas de dérailler un bon coup, car il est dans le déni complet de sa mort prochaine et même de sa maladie tout court maintenant. Il a franchi depuis près de deux ans le stade de l'incurable et de la résistance du cancer à tous les traitements. Pourtant il souffre peu ou pas, et supporte d'ailleurs fort bien les traitements analgésiques qu'on lui donne en quantité minime pour le moment. Il se contente d'être insupportable, d'insulter médecins et infirmières, de se déclarer miraculé, de s'en prendre aux autres patients quand il les croise et de délirer par moments assez fort. C'est ma mère qui s'en prend le plus: il lui en veut de tout, probablement aussi plus encore de sa survie, car au fond de lui il y a bien quelque chose qui sait tout en niant l'évidence. 

Il est hospitalisé depuis mi-juin, dans divers établissements, car son état mental lui a valu un mois d'hôpital psy en plus du reste, jusqu'à ce qu'il soit assez calme pour retourner dans un établissement conventionnel. Jusqu'à ces cinq jours chez lui enfin, les derniers.

Ce qui veut dire que je le perds deux fois, la première c'est fait - impossible d'avoir une conversation normale avec lui depuis l'an passé - la deuxième est pour bientôt. Cette fois-ci encore, l'infection pulmonaire est banale, ils vont résorber tout ça en deux coups d'antibiotiques. Mais le cancer gagne du terrain: amaigrissement prononcé, fatigue, dégradation physique importante, lui qui aimait tant manger - et oui! j'ai de qui tenir!! - ne mange plus grand-chose. Il reste couché en permanence, alors qu'il manigançait sans cesse des évasions invraisemblables il y a encore quelques jours...

Un jour concessionnaire de voitures de luxe - le seul patient de France à avoir voulu vendre un coupé sport de grand renom à son oncologue, à plus de 80 ans!!! - un autre jour il est commandant de bord chez Air ChezNous, un autre encore capitaine de navire!!! Il aura vécu jusqu'au bout ses passions: automobile, aviation, bateau, mécanique. Il aimait la nature aussi, et la pêche et la chasse. Il a même repris tous ses permis cette année, alors qu'il ne tenait plus bien debout! C'est le rêve qui le maintient en vie, le rêve! Il pousse à l'extrême ce qu'il a vécu en vrai - et en plus petit! -  dans le temps. Grâce à lui, j'ai roulé dans de belles voitures américaines quand j'étais gosse, j'ai fait de l'avion à ses côtés et acquis des rudiments de pilotage, j'ai appris la voile et la navigation de plaisance... et l'on cherche un peu moins à m'entuber me faire passer pour une conne dans les garages.

Ce vieux fou délabré, c'est mon père. 

Nous montons donc le voir une journée la semaine prochaine. Ce sera la dernière fois. J'espère bénéficier de cinq minutes de lucidité, cela arrive encore, de temps en temps... Il faudra que je n'oublie pas de lui raconter la truite que j'ai pêchée il y a quelques jours: même pas très grande, elle était bien plaisante à sortir du courant où elle s'était postée et nous l'avons dégustée avec délectation!

04 août 2007

Ici radio Londres

Message personnel:
l'oiseau s'est envolé!
Je répète:
l'oiseau
s'est
envolé!

03 août 2007

Ouéééééééé!

Champion vient d'être admis en clinique pour appendicite... Il ne prendra donc pas l'avion avec son père demain pour les Antilles comme prévu! Je suis sincèrement désolée pour lui: en plus de ses malaises, il est fort triste de ne pouvoir aller voir sa famille paternelle comme tous les ans. Pauvre gosse!

N'empêche... Pour ce qui est de souffler et pour les vacances en amoureuses, on repassera! Je sens que je ne vais même plus oser prononcer le mot "vacances", moi si ça continue!

Humpfff! C'est la vie!

Et encore qu'il y a tout ce que vous ne savez pas, car je ne puis en parler maintenant, la justice n'ayant pas encore statué!  Je vous raconterai tout cela un jour, dès que possible. Sachez seulement que j'en ai certains jours bien gros sur le coeur... Beaucoup n'imaginent pas à quel point parfois l'on nous fait payer cher le fait d'aimer quelqu'une quand on est quelqu'une et quelqu'un quand on est quelqu'un. Beaucoup n'imaginent pas comme il faut se battre pour élever ses propres enfants quand on est lesbienne, ni la dose de stress que cela engendre...

Nous z'aurons pas! On est 'achement résistantes, d'abord! Na! Même pô qu'on pourra nous faire fléchir, ah mais!

02 août 2007

Tsoin tsoin ta ra ta tsoin ta tsoin ta tsoin!

 

Happy birthday to you Mary L!

 

Aujourd'hui c'est l'anniversaire de ma belle! Alors je vais conduire notre petite famille vers l'océan et trouver un beau bord de mer où voir les bateaux et les vagues, goûter les embruns et regarder les mouettes se jouer du vent et de l'eau! Ca, ça lui plaît tellement!

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Quant aux nains, 'zont qu'à bien se tenir! Manqueraient plus qu'ils énervent leur mère, à deux jours de leur départ pour le mois de vacances avec leur père! Elle a tant fait pour eux ce mois de juillet, j'espère qu'ils seront gentils aujourd'hui avec elle.

03 juillet 2007

Fresh news

Quatre semaines d'orage et d'intensité...

Il m'a fallu d'abord terminer en catastrophe ce mémoire, dernier maillon de mon diplôme, en attente depuis trois, voire même quatre ans, ainsi va la vie. Sujet modifié depuis l'an dernier: bien sûr que je ne pouvais pas laisser de côté l'intime et ignorer le cancer! Quant à l'autre sujet déjà avancé, il pourra toujours servir à construire un article pour une revue, si j'ai le temps.

Vingt fois j'ai failli baisser les bras:

" C'est de la folie, on ne rédige pas un tel travail en si peu de temps, tu ne te rends pas compte!"

Et ma douce de répéter:

"J'ai confiance, tu peux y arriver, tu vas y arriver." 

C'est vrai que je n'aurais pas bien supporté de repartir en stage les mains vides, en sachant qu'il faudrait encore attendre un an ou plus... ou jamais, car on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Alors j'ai travaillé jour et nuit, à la limite de l'épuisement: mon mémoire a vu le jour une semaine avant mon départ, envoi par mail à mon prof en date limite, version papier dans les bagages, pas le temps de la lui poster.

Ce diplôme j'en avais tellement besoin, professionnellement et moralement! Alors ça y est c'est fait, j'ai soutenu mes 47 pages vaillamment mardi dernier et j'ai obtenu mon diplôme en fin de formation vendredi. Soutenance sans aucune préparation vu les évènements récents, après un départ mouvementé qui a failli ne pas se faire. Alors bien sûr, frustration de l'à peu près, présentation ratée à mon sens, mais pas à celui des personnes présentes, qui m'ont affirmé que j'avais atteint mon double objectif: toucher et informer. Apprentissage supplémentaire d'humilité. Et puis l'essentiel est dans le coeur et a transparu. Tant mieux.

Flashback

Une semaine avant le stage, mon père est hospitalisé en clinique version maison de repos. En effet, il ne cesse d'être méchant avec tout le monde en général et ma mère en particulier; et puis il divague, il délire, se présentant tour à tour comme marchand de voitures de luxe ou pilote de ligne. Il me parle de quitter ma mère et de divorcer - à 82 ans et dans son état! -, il téléphone à toute heure du jour et de la nuit, il dérange d'anciens voisins auxquels il raconte des histoires invraisemblables, il menace ma mère de la tuer et j'en passe. Je l'ai moi-même menacé d'hospitalisation à sa dernière divagation téléphonique, il m'a miraculeusement entendue car c'est de lui-même qu'il a demandé cette maison de repos.

Mais la clinique ne pourra pas le garder plus de cinq jours: hélas, il s'attaque aux autres malades, dont certains sont en soins palliatifs, se croit victime des autres, insulte les infirmières et surabuse du téléphone. Soit la clinique ordonne son placement en hôpital psychiatrique par préfet interposé, soit c'est sa femme qui signe les papiers de cet internement d'urgence. Ce qu'elle fera la mort dans l'âme ce terrible vendredi - black friday -, veille de mon départ en stage de formation. J'avais admis la mort prochaine, j'avais appréhendé la souffrance, mais non cette rupture psychique qui l'éloigne de nous avant l'heure et interdit tout dialogue sensé de plus de deux minutes. La vie nous réserve tant de surprises et il est vrai que tout peut toujours être pire! Frisson...

C'est donc la tristesse au coeur que je suis partie en formation, me concentrant sur la longue route car les tâches obligatoires ont ceci de bon qu'elles nous éloignent de notre petit égo blesssé. 

Une semaine apaisante, ma mère a promis de respecter le break et de me laisser ces quelques jours tranquilles, alors j'ai travaillé comme je pouvais malgré une fatigue importante, j'ai suivi le séminaire au mieux, m'offrant toutefois une journée d'école buissonnière avec randonnée le long des côtes bretonnes et c'est bien bon. Retrouvailles avec quelques-un(e)s, nouvelles têtes et nouveaux partages, pluie, vent, gastronomie et crêpes, ouf je respire un peu.

Retour 

J'ai appelé sur la route, c'est vrai que j'aurais pu attendre encore une journée, mais il me faut penser à cette dame vieillissante qui est si seule avec sa peine. Peine qu'elle a déversée à flots pendant une heure, aucun détail déchirant ne m'est épargné comme à l'accoutumée, et encore c'est moi qui finis par abréger la conversation, je suis chez mon beau-frère et veux faire bonne figure, ils sont si contents de nous voir! Elle ne sait pas prendre de distance avec ce qui lui arrive - elle n'a jamais su -, par moments j'ai peur qu'elle aussi ne se retrouve dans cet hôpital tant je la sens qui perd pied. Elle a revu l'oncologue de papa, elle lui a demandé s'il allait guérir!

Je mesure à quel point tous deux sont dans le déni, il n'y a pas que mon père! Le psy de l'hosto de mon père lui demande de venir le voir moins souvent, parce que ça le met dans un état épouvantable, elle n'entend rien, c'est l'amour de toute une vie qu'ils veulent l'empêcher de voir. Et pourtant ces médecins veulent faire prendre conscience à mon père que c'est l'alcool qui l'a mis dans cet état: en effet, l'ex-alcoolique a retrouvé son ancien refuge, pour fuir la vérité et se sentir fort, invulnérable. Seulement voilà, c'est le délirium qui l'a rattrapé et hante ses nuits et ses jours! Pourtant il n'a pas de métastases au cerveau, c'est bien le seul endroit d'ailleurs, toute sa lucidité il pourrait l'avoir. Ce qu'il ne veut probablement pas...

Dans un deuxième temps, ils souhaitent l'amener doucement à l'idée qu'il va mourir, et l'aider à le faire sereinement. Auront-ils le temps? Comment se faire à cette idée quand l'autre aussi la rejette de toutes ses forces? Pourtant la mort fait partie de la vie!

J'en viens à souhaiter que tout cela s'achève le plus vite possible. Que la maladie gagne la partie vite et bien, pour arrêter cette abomination.

En attendant

J'ai fini "Le Souffle des Dieux" de Werber, "Saga" de Benacquista et je reprends "La Source noire" de Patrice Van Eersel. La lecture m'a toujours permis, en plus de l'humour, de garder mes distances avec les évènements et d'arriver à gérer mes émotions tout en ne les fuyant pas. Et puis les travaux d'Elisabeth Kubler-Ross sont tellement d'actualité, c'est tellement tout ce que je ressens comme vrai: la mort peut être joyeuse si on l'accepte!

Peu de RV de travail en vue pour le moment. Du temps peut-être un peu plus pour penser, méditer et écrire. Du temps pour préparer la rentrée: deux activités professionnelles en parallèle, ça demande de l'organisation. Du temps pour gérer l'association que je préside. Du temps pour m'occuper des enfants de ma douce avec elle en juillet, car là aussi, les tâches abondent: notre petit monde grandit et s'affirme parfois à tort et à travers, mais ça, c'est une autre histoire que je vous raconterai un autre jour!

Et la vie continue, pour preuve la petite fille de notre Indilou!

02 juillet 2007

Fresh news en vue

(post en construction... quatre semaines très mouvementées... suis tout juste de retour... à demain!)