14 août 2006
Aujourd'hui
Aujourd'hui cela fait quatre mois jour pour jour. Quatre mois que notre vie a basculé, quatre mois que notre univers a pris d'autres couleurs.
Il a d'abord fallu intégrer l'information et tous ses sous-entendus. Les premiers jours, je me souviens que lorsque j'étais seule, je me répétais intérieurement " Elle a un cancer, Elle a un cancer " pour m'entendre dire les mots et pour accepter l'innaceptable plus rapidement. Et je me répétais inlassablement aussi " Elle ne va pas mourir, elle ne va pas mourir, on va se battre ", parfois ça devenait "pourvu que" mais je chassais bien vite cette pensée-là: comme disent les gamins, c'était TROP.
On venait tout juste d'emménager et nos cartons n'étaient même pas tous rangés encore - d'ailleurs ils ne le sont toujours pas - et nous avions à peine eu le temps de faire de notre nouveau chez nous un lieu confortable et accueillant. Priorité avait été donnée à la propreté des lieux, à la finition des travaux de rénovation et à l'installation des enfants, de la cuisine, des salles de bain, de la salle à manger. Après deux ans et demi de recherche pour trouver la maison de nos rêves, nous y étions enfin, en dépit de tout.
En dépit du handicap et des difficultés professionnelles qui sont mon lot depuis quelques années. En dépit des rapports difficiles avec sa famille, quand ils ne s'en prennent pas directement aux enfants en leur montant le bourrichon contre leur mère, je cite " Ce n'est pas bien ce que ta mère fait, s'il n'y avait pas la prière, je serais déjà morte à l'heure qu'il est ". Avec ça le môme nous revient cassé, déstabilisé en profondeur, avec des " Je ne sais plus qui aimer, je ne sais plus qui croire, je suis perdu". Et il faut s'y rendre en urgence pour remettre les pendules à l'heure (à 300 km tout de même), et menacer de ne plus jamais les laisser approcher les gamins si ça se reproduit.
En dépit de l'attaque en justice du père des gosses pour tenter de les prendre entièrement avec lui: dès qu'il a su notre bonne fortune, il était hors de question qu'il la laissât être très heureuse, il fallait qu'elle en bave encore un peu je suppose. Un divorce difficile sur des années ne lui avait pas suffi, ni de tenter de lui prendre jusqu'à sa chemise! Le vrai problème étant l'homosexualité, qu'il n'a pas supportée. Evoquée en justice dans l'espoir de se voir attribuer la garde totale avec la couronne de lauriers en plus, une veine que les moeurs aient évolué et que nous soyons tombées sur un juge humain... Il devrait tout de même se poser la question de savoir pourquoi il a épousé une lesbienne en connaissance de cause. Et pourquoi il n'a pas supporté pas qu'elle parte le jour où elle s'est rendue compte que décidément non, elle ne pouvait plus jouer à l'hétéro plus longtemps et qu'elle devait mener sa vie avant d'être trop vieille pour ça. Au moins elle a été assez honnête et courageuse pour demander cette séparation avant d'avoir rencontré qui que ce soit. Et bien sa sincérité, il lui a fait payer très cher: que de reproches, de silences qui tuent auprès des enfants ou de remarques atroces: "Votre mère NOUS a abandonnés". Et ça continue avec des "De toute façon les enfants ne sont pas heureux chez toi" "Les enfants n'aiment pas Happy" "Je ne veux pas qu'elle s'occupe d'eux", etc... Cela fait sept ans que ça dure, à force ça me fatigue...
Avec tout ça ma brune a de quoi être tombée malade, attaquée en permanence dans sa fonction de mère, "quand on est comme toi, on ne fait pas d'enfants" "ah bon c'est avec toi que j'ai fait les enfants, je ne m'en rappelle plus..." , de femme "ah non, non, je ne referai pas ma vie, de toute façon les femmes on ne peut pas leur faire confiance" - parfaite pour l'éducation des enfants cette remarque - , d'être humain "si tu avais été normale...". Ce qui bien sûr génère de bien grandes difficultés avec les enfants! On ne peut pas dire non plus qu'ils débordent d'affection envers leur mère: on leur a tellement dit qu'il ne fallait pas l'aimer... Il paraît qu'à force d'être maltraitée et niée dans sa vérité, une femme peut ne plus avoir d'autre recours que de tomber malade pour se faire entendre! Et comme l'organe qui symbolise le plus la féminité et la maternité, c'est le sein, sans commentaires! Si. Juste l'énorme proportion de ces cancers dans la population... Il y en a donc tant que cela qui sont bafouées, ignorées, vilipendées?
Et puis le temps passe, le traitement avance, étape par étape, et nous apprenons à vivre avec l'épée suspendue au dessus de nos têtes. Et oh surprise! à l'oublier même parfois. Le bonheur reprend ses droits et la vie continue, en dépit des mauvaises semaines. Et nous mesurons notre chance: à six mois près, nous étions en pleins travaux et pas encore dans les murs et ça aurait été tellement pire! Si Elle n'avait pas eu mal et senti un truc bizarre, on aurait tout compris plus tard, trop sûrement... Voir le bon côté des choses. Voir qu'on est ensemble et que notre amour résiste à ce défi de la vie. Rien de tel qu'une bonne grosse tuile pour en mesurer la force! Une amie touchée elle aussi avertissait son mari il y a peu: "Avec ce cancer, pour notre couple c'est le test, ça passe ou ça casse" !
Oh il y a des moments de découragement, mais ça aussi, ça fait partie de la vie. Tout passe, donc la tristesse aussi. Le gris, le noir, laissent place au bleu, au rouge, au vert. Dans sa chaise longue au jardin, elle peut se remplir du vert de nos arbres, des couleurs vives de nos fleurs, du chant des oiseaux et du calme de notre village. Méditation sereine et paisible, à peine entrecoupée par un aboiement au loin ou un ris d'enfant. Et puis il y a le boulot qui continue pour moi (pô pris de vacances depuis août 2005...), une vraie colonne vertébrale, une aire de repos mental en quelque sorte, oublier ses soucis pour se centrer sur autre chose, sur d'autres. Etre utile, se nettoyer l'âme, donner, recevoir, laisser la vie couler à flots dans les directions qui se présentent. Travailler au jardin. Gérer le quotidien. Heureusement.
N'empêche que l'homophobie, ça fait bien des dégâts. Beaucoup trop. Marre de l'ignorance, de la violence, verbale, physique. Les infos de ces dernières semaines, déplorables, profondément attristantes. C'est bien pour ça, témoignons de nos vies, témoignez des vôtres. Existez aux yeux des autres pour qu'ils vous laissent vivre libres. Faites vous respecter. Par tous. Ne nous laissons pas enfermer dans la haine.
Et puis, hein, quoi? Déjà un mois de passé depuis mon anniv? En plus je vieillis... Manquait plus que ça! Comment ça, ça se voit à quoi qu'aujourd'hui je n'ai pas le moral?
11:00 Publié dans Lame de fond | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Vaincre la maladie, homosexualité, homophobie
Commentaires
Chères Happy et cher Marie L,
Je tiens a vous apporter tout mon soutien dans cette épreuve qu est d être homo et cependant avoir l envie féroce et invincible de vouloir vivre avec la personne que l on aime.
Étant homo moi aussi, quand je lis ces ligne je ne peux m empêcher d espérer d avoir moi aussi cette force de caractère, cette aplomb qui contre vents et marées ne faiblit pas et ne se fissure pas.
De plus happy je tiens a féliciter ta force et ton attention, cette énergie que tu déploies a soutenir ta compagne et pour avoir connu le cancer dans ma famille je puis en dire que la guérison se joue aussi bien sur le plan physique que sur le plan mental.
Avec une fille tel que toi a ses coté comment ne pas vouloir combattre encore et encore, malgré les nausées, l affaiblissement et les malaises permanent?
Sachez que nous somme de tout coeur avec vous et nous espérons tous ici que cette maladie partira au plus vite pour que Marie L et toi puissiez enfin avoir droit a un peu calme.
Avec toutes mes pensées,
Akh.
Écrit par : Akherine | 14 août 2006
Quelqu'un, qui m'a soignée très régulièrement pendant 2 ans, m'a dit un jour de grand désespoir : "la vie gagne toujours." Toutes 2, Vous gagnerez !
De plus, la lecture de votre post d'aujourd'hui m'a permis de poster le mien.
Toujours la vie. Merci.
Écrit par : Hannah | 14 août 2006
Akherine> Je découvre ton blog et je sens que j'y reviendrai butiner plus longuement!
Hannah> Le bonheur c'est être soi!
Lu ton post: il sonne 'désespérément' beau! Aucun jugement de notre part: vis ta vie, tu verras avec les années, les autres et ce qu'ils pensent, on s'en fout de plus en plus!
Écrit par : Happy | 14 août 2006
"Être soi" ça ne veut rien dire. C'est une invention bas de gamme, une philosophie de comptoir. "Devenir soi" déjà ressemble mieux à un gain d'évolution. Ton amie devient. Et TU deviens. Nous sommes ce que nous devenons, cancéreux ou non, sidéens ou non, alcooliques ou non. Freiner une maladie n'éclaire pas la vie si nous pensons que la maladie galvaude le perfectionnement du "je". Ton amie comme toi-même devenez, et vous devenez "ensemble", côte à côte. Le reste on s'en fout. Le reste c'est de la pochette de magazine TV.
Écrit par : Jonas de Dieppe | 15 août 2006
Si, si, "être soi" existe: c'est "être présent au présent". Ce n'est pas de la philosophie de comptoir, mais l'essentiel du bouddhisme ou du soufisme par exemple, hormis bien sûr la notion d'impermanence (tout passe, un jour nous serons morts, etc...!).
Il ne s'agit pas d'adhérer à une philosophie d'ailleurs, mais de s'accepter soi-même sans étiquette. Pour devenir, encore faut-il partir de là où l'on est... Hannah par exemple ne veut plus être hétéro parmi les hétéros, ni homo parmi les homos, elle souhaite être elle-même sans étiquette ni jugement d'autrui.
Toi-même tu ES écorché vif, hypersensible, tu es feu et brûlure à la fois: tes ailes se sont parfois consumées aux flammes de tes amours bafouées et de tes espoirs déçus, mais ta souffrance si palpable n'empêche pas le feu de l'athanor de brûler en toi très fort. Mais n'empêche que ce que tu deviendras ne sera visible que demain et quand je te lis c'est le Jonas d'aujourd'hui que je rencontre et c'est son âme d'aujourd'hui que tu essaies de me transmettre dans ses écrits. Je m'attache à cet humain que je DECOUVRE. Oui tu évolues, oui tu te transformes. N'empêche que je ne puis aimer que celui que tu es aujourd'hui, sinon je risquerais d'aimer un fantasme idéalisé issu de ma propre imagination et non celui que tu ES. Ce que tu deviendras sera le moment présent d'un autre jour, façonné par les défis de la vie, la maladie, les rencontres ou les épreuves, ce sera le Jonas issu de ta réaction face à ces circonstances.
"Devenir soi", ce serait accepter l'idée d'un plan préétabli, d'une prédestination! Or je nous crois libres! Je ne nous crois pas façonnés par un plan divin ou autre mais beaucoup plus par notre vision de nous-mêmes! Et c'est le combat qui est intéressant, la façon toute personnelle d'aborder les joies et les défis de la vie, la façon dont l'être crée sa vie! Le plus difficile c'est l'ICI ET MAINTENANT.
PS: nous ne regardons plus la TV depuis longtemps, alors les magazines, tu penses! :p
Écrit par : Happy | 15 août 2006
De retour du 15 août...
Merci pour ces mots justes.
Je ne regardais plus cette phrase affichée sur le mur en face de moi : "Tu dois devenir ce que tu es" F. Nietzsche. "Le gai savoir".
Quant au "ici et maintenant" c'est toujours "l'axe" que l'on donne à la première asana au yoga...
Que vos journées soient douces.
Écrit par : Hannah | 19 août 2006
Les commentaires sont fermés.