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07 août 2006

Parce que c'est beau

Prière au sommeil

Somme, doux repos de nos yeux.
Aimé des hommes et des dieux,
Fils de la Nuit et du Silence,
Qui peux les esprits délier,
Qui fais les soucis oublier,
Endormant toute violence.

Approche, ô Sommeil désiré !
Las ! c'est trop longtemps demeuré :
La nuit est à demi passée,
Et je suis encore attendant
Que tu chasses le soin mordant,
Hôte importum de ma pensée.

Clos mes yeux, fais-moi sommeiller,
Je t'attends sur mon oreiller,
Où je tiens la tête appuyée :
Je suis dans mon lit sans mouvoir,
Pour mieux ta douceur recevoir,
Douceur dont la peine est noyée.

Hâte-toi, Sommeil, de venir :
Mais qui te peut tant retenir ?
Rien en ce lieu ne te retarde,
Le chien n'aboie ici autour,
Le coq n'annonce point le jour,
On n'entend point l'oie criarde.

Un petit ruisseau doux-coulant
A dos rompu se va roulant,
Qui t'invite de son murmure,
Et l'obscurité de la nuit,
Moite, sans chaleur et sans bruit,
Propre au repos de la nature.

Chacun hors que moi seulement,
Sent ore quelque allégement
Par le doux effort de tes charmes :
Tous les animaux travaillés
Ont les yeux fermés et sillés,
Seuls les miens sont ouverts aux larmes.

Si tu peux, selon ton désir,
Combler un homme de plaisir
Au fort d'une extrême tristesse,
Pour montrer quel est ton pouvoir,
Fais-moi quelque plaisir avoir
Durant la douleur qui m'oppresse.

Si tu peux nous représenter
Le bien qui nous peut contenter,
Séparé de longue distance,
Ô somme doux et gracieux !
Représente encore à mes yeux
Celle dont je pleure l'absence.

Que je voie encor ces soleils,
Ce lis et ces boutons vermeils,
Ce port plein de majesté sainte ;
Que j'entr'oie encor ces propos,
Qui tenaient mon coeur en repos,
Ravi de merveille et de crainte.

Le bien de la voir tous les jours
Autrefois était le secours
De mes nuits, alors trop heureuses ;
Maintenant que j'en suis absent,
Rends-moi par un songe plaisant
Tant de délices amoureuses.

Si tous les songes ne sont rien,
C'est tout un, ils me plaisent bien :
J'aime une telle tromperie.
Hâte-toi donc, pour mon confort;
On te dit frère de la Mort,
Tu seras père de ma vie.

Mais, las ! je te vais appelant,
Tandis la nuit en s'envolant
Fait place à l'aurore vermeille :
O Amour ! tyran de mon coeur,
C'est toi seul qui par ta rigueur
Empêches que je ne sommeille.

Hé ! quelle étrange cruauté !
Je t'ai donné ma liberté,
Mon coeur, ma vie, et ma lumière,
Et tu ne veux pas seulement
Me donner pour allégement
Une pauvre nuit tout entière ?

 

Celui que l'Amour range à son commandement

Celui que l'Amour range à son commandement
Change de jour en jour de façon différente.
Hélas ! j'en ai bien fait mainte preuve apparente,
Ayant été par lui changé diversement.

Je me suis vu muer, pour le commencement,
En cerf qui porte au flanc une flèche sanglante,
Depuis je devins cygne, et d'une voix dolente
Je présageais ma mort, me plaignant doucement.

Après je devins fleur, languissante et penchée,
Fuis je fus fait fontaine aussi soudain séchée,
Epuisant par mes yeux toute l'eau que j'avais.

Or je suis salamandre et vis dedans la flamme,
Mais j'espère bientôt me voir changer en voix,
Pour dire incessamment les beautés de Madame.

 

Philippe DESPORTES (1546-1606)
(Recueil : Les amours de Diane) 

23:20 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature

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