20 mars 2006
Carl Orff et les Carmina Burana
Je ne m'en lasse pas!
Carl Orff et les Carmina Burana
Quand j'ai découvert cette musique, je devais avoir quatorze, quinze ans. Emerveillée par les voix et les sonorités extrêmement riches et variées, j'aurais pu en rester à cette écoute fort plaisante lorsque des amis m'ont raconté l'histoire des Carmina Burana et m'ont incitée à en comprendre les textes: depuis la beauté de l'oeuvre et son originalité n'ont cessé de m'enchanter. Laissez-moi vous les raconter à mon tour...
C'est par l'intermédiaire d'un bouquiniste de Würtzbourg que Carl Orff entra en 1934 en possession d'un recueil de poèmes médiévaux, intitulé Carmina Burana. Le bibliothécaire de la cour de Münich Johann Andreas Schmeller avait publié cette anthologie en 1847; elle se base sur un manuscrit probablement rédigé entre 1220 et 1250 en Styrie ou au Tyrol du Sud, et découvert en 1803 au couvent de Benediktbeuren. C'est également à Schmeller que l'on doit le titre du recueil, Carmina Burana (Chants de Beuren). Le manuscrit contient, classés par ordre thématique, plus de 200 chansons et poèmes en bas latin, en moyen haut allemand et en vieux français, ainsi que des strophes réunissant ces différentes langues.
À côté de scènes religieuses et d'attaques contre la décadence des moeurs et la corruption des pouvoirs publics et du clergé, figurent des textes qui célèbrent avec verdeur et sensualité le plaisir de manger, de boire, de jouer et d'aimer. Carl Orff avoua qu'en bon Bavarois, il s'était senti si profondément touché par « le rythme entraînant et le caractère imagé de ces poèmes, et tout autant [par] la musicalité riche en voyelles et la concision unique de la langue latine » qu'il commença spontanément à mettre en musique quelques pièces. Conseillé dans le choix et l'étude des documents par l'archiviste Michael Hofmann, il ne se contenta pas d'établir rapidemment la structure du texte : « En quelques semaines, toute mon oeuvre fut "jouable", de sorte qu'au début du mois de juin, je pus me mettre en route pour aller voir mon éditeur. Je n'avais pour base de mon exécution qu'un texte tapé à la machine. La musique était tellement achevée et vivante en moi que je n'avais pas besoin du soutien d'une partition. »
Lors de la création, le 8 juin 1937, à l'Opéra de Francfort sous la direction de Bertil Wetzelsberger, les Carmina Burana ou Chansons profanes pour solistes et choeur avec accompagnement instrumental et tableaux - c'était désormais le titre de cette œuvre - connurent un accueil triomphal et se virent rapidement ouvrir les portes des opéras, des salles de concerts ainsi que des salles de fêtes des universités et des écoles du monde entier. Après la répétition générale, Carl Orff alla trouver son éditeur pour lui faire cet aveu, souvent cité : «Vous pouvez mettre au pilon tout ce que j'ai écrit jusqu'à présent et que vous avez malheureusement imprimé. Mes oeuvres complètes commencent avec Carmina Burana.»
Le traitement qu'Orff fait subir à l'ochestre traditionnel est d'une nouveauté révolutionnaire : complété par deux pianistes et cinq percussionnistes, il acquiert un timbre métallique et martelant.
Les 24 numéros de l'oeuvre débutent par « O Fortuna » une invocation célèbre à la déesse de la destinée et de la chance, sur un fond de percussions retentissantes.
Puis vient le printemps et l'appel joyeux de l'amour lancé par des cloches carillonnantes. Duo de flûte et de timbales, la danse orchestrale « Uf dem Anger », renoue avec un usage populaire bavarois, avant la plainte des jeunes filles en moyen-haut allemand mâtiné de bas latin, « Floret silva nobilis », qui poursuive ces rythmes changeants sur le plan vocal. La coquetterie des jeunes filles « Chramer, gip die varwe mir » soulignée par des sons de grelots, ne suscite chez les hommes que des commentaires narquois. Le dialogue en plusieurs parties cède ensuite la place à l'invocation bachique à la «Reine d'Angleterre», probablement Aliénor d'Aquitaine, épouse du roi Henri II d'Angleterre, et dont les intrigues amoureuses sont entrées dans la légende.
La deuxième partie de l'oeuvre, « In Taberna » commence par une confession satirique et, avec un plaisir effréné, professe la « pravitas », la conduite impie: voix de fausset du cygne qui rôtit dans la poêle, puis discours d'ivrogne du saint patron du jeu de dés qui se proclame abbé du pays de Cocagne. La scène de ripailles culmine dans un choeur d'hommes entraînant, qui célèbre le plaisir de boire dans une exubérance orgiaque.
Dans la troisième partie, la « Cour d'amour », alternent innocence feinte et raffinement, plainte amoureuse et quête de l'amour: « Si puer cum puellula » des hommes (poème érotique assez cru a capella), suivi de « In trutina », le tendre aveu amoureux de la dame à son chevalier. L'hymne à Hélène et à Vénus se termine sur la reprise du vigoureux choeur initial "O Fortuna", construit sur un ostinato. Cette répétition symbolise la roue du destin qui tourne sur elle-même; Orff l'avait découverte sous forme de miniature dans le recueil des Carmina Burana.
J'écoute la version d'Eugen Jochum, avec Gundula Janowitz, Gerhard Stolze et Dietrich Fischer-Dieskau.
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