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13 mai 2006

Votre visage

Je ne saurais vous dire la jouissance que me donne votre corps, lorsque vous me l'abandon­nez. Aucun langage ne la recueille. Aucun regard ne la contient. Les amants éprouvent, sans le comprendre, ce qu'est l'éternité: elle se confond avec la faiblesse qui précipite leur souffle. Elle obscurcit leur sang et fait la nuit autour d'eux, comme il arrive dans une souffrance, lorsqu'une flamme élance les chairs les plus tendres. La jouissance engendre un savoir sans équivalence sur l'éternel: elle révèle en nous bien trop d'enfance et de douceur pour que mourir, jamais, en vienne à bout. Les mains sur la peau touchent l'âme à vif. Elles en sentent la palpitation. Elles en devinent le trouble. Mais rien, non, rien n'égale en volupté la contemplation de votre visage.

(...)

En vous regardant, j'apprends ce que c'est qu'un visage, et qu'il s'ouvre dans la grâce d'une offrande. En vous regardant, je me souviens du monde, et combien il est sombre, monotone et sans air. Le visage amoureux est visage des hau­teurs. Il est exposé aux poussières des saisons, aux passages des étoiles. Il est rendu à sa substance première, celle du vent qui passe et tourmente les feuillages. Tout peut se lire en lui. Il baigne dans cette impudeur qui est la forme extrême de l'innocence, et sa matière est si fine que la moindre parole l'agite infiniment. Le visage amoureux est visage du profond et du clair. Il revient du lointain, de ce temps où l'enfance était chassée de nos traits, comme on renvoie dans sa mansarde une servante malhabile. Il est fait de cette pureté en nous, que rien n'entame.

Christian BOBIN. "Lettres d'Or"

 

12:15 Publié dans Aimer | Lien permanent | Commentaires (0)

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