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02 mai 2006

Le certif

Vendredi après-midi.

Coup de fil à la mairie de Au-fin-fond-de-la-France-profonde:

- Allo, l'état-civil? Bonjour, madame, nous aimerions savoir comment obtenir un Certificat de Vie Commune.

- Un certificat de quoi? Attendez, je me renseigne... (la dame chuchote à une collègue notre demande, la collègue visiblement au courant lui répond qu'il s'agit du certificat de concubinage).

Rassurée, ça elle connaît!, elle me répond:

- C'est très simple. Vous apportez une attestation manuscrite spécifiant que vous résidez à la même adresse, un justificatif de domicile, quittance de téléphone, eau, électricité ou autre, et surtout n'oubliez pas de vous munir de vos cartes d'identité à tous les deux. Nous sommes ouverts jusqu'à 18 heures.

Je glisse sur le "tous les deux" (ô combien cet hétérosexisme de base me navre...). Je me tourne vers ma belle qui me regarde les yeux brillants et me déclare:

- On y va aujourd'hui? J'en ai très envie. Ca mettrait du soleil dans notre journée. En ce moment, ça nous ferait du bien.

L'attestation est rédigée en moins de deux sur l'ordi, nous la signons un peu émues. Nous sautons dans nos chaussures, la voiture est devant la porte et nous à la mairie en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire.

- Bonjour, madame. c'est moi qui vous ai appelée tout à l'heure pour le Certificat ...

Si elle est surprise, elle ne le montre pas et reste avenante. Avenante mais perdue. Toutefois elle prend nos papiers, avec un:

- Veuillez patienter, je vais chercher le formulaire.

S'ensuit une discussion animée dans le bureau voisin. A travers la porte nous percevons des "c'est la première fois que ça arrive, je ne sais pas comment faire, oui mais là on ne peut vraiment pas laisser la phrase vit-maritalement-avec (tiens donc et pourquoi ça?), faut que j'appelle le maire/un confrère/quelqu'un, et surtout, oui surtout ça, c'est le pompon, cette réflexion inimaginable: je ne voudrais pas aller en prison à cause de ça!

La dame de l'accueil réapparaît, accompagnée de la collègue, hostile, qui nous assène:

- Le formulaire ne prévoit pas cette situation. Et puis "vit maritalement avec" ne convient pas. Et il y a le PACS (sous-entendu, c'est pas chez nous, cassez-vous de mes bureaux au plus vite). Nous, nous ne sommes pas obligées de vous faire ce certificat! (Maintenant elle hurle presque) Qu'est-ce qui me prouve que c'est vrai, ce que vous me dites? Et puis pourquoi le voulez-vous d'abord, ce certificat?

Je sens que j'ai les crocs qui poussent...

- Madame, je le sais bien, la loi ne vous oblige pas à le délivrer. Je vous suggère toutefois de passer un coup de fil à Monsieur D, sénateur-maire de Z, qui nous connaît personnellement et pourra attester de la véracité de...

Dans la foulée, je tourne mon regard vers Mary qui a soudain les larmes aux yeux, et dont je mesure toute la déception si nous n'obtenons pas ce bout de papier aujourd'hui. Malgré son émotion palpable qui me retourne jusqu'aux tripes, elle prend la parole d'une voix calme, douce et ferme à la fois:

- Madame, je viens d'apprendre que j'ai un cancer et je dois être opérée dans les jours qui viennent. Nous n'avons pas le temps de préparer un PACS. Je souhaite que ma compagne puisse m'accompagner à l'hôpital et ne rencontre aucune difficulté pour rester auprès de moi, de jour comme de nuit, surtout les premières nuits (sa voix se brise un peu) pour m'accompagner dans cette épreuve. Je ne veux pas qu'à l'hôpital elle soit considérée comme une personne étrangère. Voilà pourquoi nous avons besoin de ce certificat...

La dame est ébranlée et fléchit. Elle part chercher un document que la secrétaire, qui nous regarde avec sympathie, commence à remplir pendant qu'elle téléphone. Ah bon, ce formulaire n'est plus d'actualité? Pouvez-vous me mailer le bon, merci? Bien, bien, je vais leur dire.

Elle revient triomphante:

- Ce formulaire n'a plus cours. Mais surtout, l'attestation n'est plus valable, il vous faut deux témoins. L'état-civil ferme dans moins d'une heure. Nous conservons les autres documents, revenez la semaine prochaine avec vos témoins.

Nous quittons la mairie en râlant, je sens que ma douce va avoir le moral à zéro si rien ne se passe, on remonte à la maison, et coup de chance, notre voisine de droite arrive du supermarché. Nous lui racontons notre mésavanture: elle est partante pour descendre à la mairie de suite. Dans l'intervalle, l'autre voisine sort de chez elle, je pique un sprint dans la rue (ceux qui me connaissent mesureront à quel point c'est exceptionnel!). Rapidement brifée, elle se fend d'un "Oh mais c'est sympa, ça!" qui nous réchauffe le coeur et déclare tout sourire "Je partais chercher la petite à l'école, j'y vais et nous vous attendrons devant la mairie".

Munies de nos deux témoins et d'une gamine, nous déboulons au bout de quinze minutes dans les bureaux de l'état-civil sous les yeux ébahis des employées. Contraintes de rédiger le document demandé, elles s'exécutent d'assez bonne grâce finalement et nous papotons avec nos voisines pendant ce temps. Tout le monde signe et nous repartons avec le sourire. Et surtout, je sens ma belle si heureuse!

Quand on pense que cela ne fait que quatre mois que nous habitons à cette adresse! Vous savez quoi? Nos voisins sont épatants! Et nous, on a décidé qu'après six ans de fiançailles, finalement ce PACS, dès qu'on aura un moment, on va le signer. Et on ira boire le champagne avec les voisins! Devant la mairie! Et puis quand la loi changera, on ira se marier... à la mairie!

Commentaires

Ce post est tellement fort !
Très émouvant au début et finalement le dénouement victorieux ! Bravo les filles, vous êtes allées au bout de votre souhait et vous avez eu raison de combattre l'homophobie latente qui fait tellement mal parfois.
("aller en prison" ??? les gens sont affligeants ...)

Écrit par : Indilou | 02 mai 2006

Dis donc, on en aurait presque les larmes aux yeux, un mardi matin à 11h25 merci bien pr commencer la semaine!!! ;-)
Et puis comme d'habitude, on sent la force qui s'émane de vous, à travers ces lignes et ce que vous racontez, on se sent tt petit devant son clavier à "commenter" tt ça...
Bravo, courage, &merci !

Écrit par : linem | 02 mai 2006

Quel épisode de vie...Rien ne surprend vraiment (mairie...papiers...gnagna) mais l'issue est somptueuse, émouvante, vivante !! Pour un peu, au delà du post, j'aurais aimé en faire un court métrage...Maizz personne n'y croirait. Beaux talents que les vôtres.
Notre affection à vous...encore & encore

Écrit par : Patricia-M | 02 mai 2006

effrayant... on EST encore au Moyen Age :
et rassurant sur la fin
il y a de l'espoir sur cette planète ! ! ! ! ! !
tant qu'il y aura des voisines...

Écrit par : xavier | 03 mai 2006

Les commentaires sont fermés.